Crise environnementale et du logement obligent, les sujets de la densification et de l’étalement urbain refont surface ces temps ci, tel un abonnement.
Ça me rappelle qu’en 2013 en pleine campagne électorale municipale, la candidate contre Luc Ferrandez à la mairie du Plateau, la comédienne Danièle Laurin lors d’une entrevue à la radio, s’exprimait ainsi : « l’étalement urbain, ces fameux mots à la mode. » Disons qu’elle ne devait être pas trop sensible au profil de son électorat pour s’exprimer ainsi. Elle doit trouver ces temps ci que la mode dure bien longtemps, jusqu’à (re) faire les manchettes régulièrement dans les médias ou d’être le sujet de prédilection de rencontres entre les maires des municipalités du Québec et le premier ministre.
Les (dorénavant) symboles de l’étalement urbain comme le 3e lien à Québec qui malgré ou grâce à un gouvernement de la CAQ qui s’accroche, continuent et continueront eux aussi à faire couler beaucoup d’encre par les experts en aménagement du territoire, en environnement et même en économie, pour les dénoncer. Rappelons qu’encore récemment, le principal groupe aviseur du gouvernement en matière de changements climatiques, lui demandait de mettre un moratoire sur toute construction de nouvelles autoroutes.
La densification et l’étalement urbain sont des sujets allant de pair, car plus on donne accès à des terres pour les développer (via des autoroutes, ponts, etc), plus il y aura étalement. Résultat, moins on investira dans les centres, entre autre pour les transports collectifs urbains ou inter-urbain. On a déjà eu un politicien à Montréal qui disait: « que l’on peut marcher et mâcher de la gomme en même temps… » . Ben non Denis, à un moment donné tu ne peux pas plaire à tout le monde et tu dois prendre position.
Le Devoir de philo ce week end sur la crise climatique et Épicure, nous rappelle que depuis 1992 lors de la première conférence de Rio sur les changements climatiques, les autorités américaines ont toujours défendu « l’american way of life » et que pour le président Bush (père), il n’était pas question de négocier le mode de vie des américains pour l’environnement. Pourtant 30 ans plus tard, dans le dernier rapport du GIEC, les représentants de 192 pays se sont mis d’accord qu’il fallait: « Réduire de façon immédiate et draconienne les émissions mondiales des gaz à effet de serre, transformer en profondeur nos villes, nos modes de transport et notre régime alimentaire. » Reste à voir comment tout cela se résultera concrètement en politiques, lois et règlementations… et peut-être aussi en habitudes de vie individuellement.
Revenons au sujet de la densité qui prend forme de plus en plus sur la place publique, malgré les réticences de ténors au gouvernement de la CAQ qui rejoignent une perception « de mode » comme l’avait évoqué jadis Danièle Laurin. La nouvelle génération de maires (qu’on parle de plus en plus comme « la vraie » opposition au gouvernement de la CAQ), ont dans leur mire comme priorité, les changements climatiques et ne semblent pas avoir l’intention de jouer un rôle de second plan. Pour l’instant, c’est un peu la ligne de front, coordonnée ou pas, de plusieurs nouveaux et nouvelles élu-e-s. Il restera à voir ce que « les créatures » du gouvernement du Québec pourront en tirer.
Ligne de front de plusieurs maires et mairesses, mais pas de tous/toutes, et c’est bien là, on peut se l’imaginer que sera la porte de sortie de la CAQ à l’approche des élections. Soit mâcher de la gomme et marcher en même temps. La sortie de St-Bruno dans ses modifications règlementaires en matière de densification, nous le démontre bien. St-Bruno en laissant se densifier une zone extérieure pour « protéger » son centre, non seulement encourage l’étalement urbain, mais en même temps perdure un discours anti « envahisseurs », tout en tenant un discours que la ville n’est pas contre la densification. Marcher et mâcher de la gomme en même temps qu’on disait?
Et là, on sort la grande peur de la haute densité, comme l’a récemment fait le plus grand ténor de l’étalement urbain au sein du gouvernement de la CAQ François Bonnardel ministre des transports, lors de l’annonce récente de sa nième mouture du 3e lien entre Québec et Lévis: « Je suis qui, moi, pour dire à une jeune famille : “vu que la mode est à la densification, tu vas aller vivre dans une tour de 12 étages” ? »
Les décisions reliées au lieu d’implantation d’infrastructures comme l’hôpital à Gatineau ont aussi des impacts. Bien que ça relève du gouvernement du Québec et en particulier du ministère de la santé, si on maintient le premier site visé loin du centre-ville, les impacts sur l’accessibilité en transport, les GES, le développement de la zone, l’étalement urbain, se feront rapidement sentir localement. Le choix du gouvernement a priori, allaient évidemment pour le moins cher (loin du centre-ville et site non contaminé), mais des membres de la société civile et élus municipaux, l’amènent à réfléchir autrement, mais surtout à le mettre devant ses contradictions avec ses propres orientations…
Quelle densification et à quel endroit?
Récemment, j’ai eu quelques rencontres avec des élus municipaux de petites municipalités, qui m’indiquaient que loin d’être une mode, que chez eux aussi les conseils municipaux se posent des questions pour préserver les forêts, les sentiers, les quelques rives restantes. Pour préserver tout ça, devrions-nous laisser nos coeurs de petites municipalités devenir plus denses se questionnent-ils? Il n’a nul été question lors de ces discussions de haute densité, mais souvent de permettre 3 ou 4 étage plutôt que le 1 ou 2 au coeur du village tout en préservant le patrimoine, mais en même temps ils soulèvent tous et toutes avoir besoin de pouvoirs et de ressources pour préserver, tantôt des milieux humides, tantôt une forêt, tantôt un bord d’une rivière ou d’un lac. Outils législatifs québécois et ressources financières que les municipalités réclament. Ils/elles semblent bien conscient-e-s qu’à terme cette densification à échelle humaine permettrait souvent de revigorer des coeurs de villages, socialement, commercialement, culturellement et même pourquoi pas envisager d’avantage d’opportunités en transport actif et collectif.
Alors pourquoi sortir les épouvantes des hautes tours quand le consensus autour de la densification est plutôt à échelle humaine? Les plex en rangées des quartiers centraux créés avant l’ère du tout à l’auto, en sont de beaux exemples. Ici il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas de hautes tours, mais bien de dire que lorsqu’il s’agit de la nécessité de densifier qu’il est bien plus questions d’une densification à échelle humaine que de la construction de tours en hauteur. D’autant plus que cette densification plus douce lorsque bien structurée, est souvent comparable en terme de nombre d’unités de logements à ce que les hautes tours proposent. Voir l’image ci dessous tirée d’un article de l’organisme Vivre en ville, datant déjà de 2013, mais toujours d’actualité.
La densité, tout en y incluant la mixité sociale et des usages mixtes (emploi/commercial), reste la clé pour des milieux de vie agréable et complet, en plus d’abaisser le coût par habitant des infrastructures municipales. L’exemple de l’arrondissement de Montréal le plus dense avec ses 12 700 habitants par Km2, le Plateau Mont-Royal, démontre assez bien que ce modèle centenaire a fonctionné et fonctionne encore. Il n’est pas le seul, la plupart des quartiers centraux de Montréal et des différentes villes, dont la trame ont été construites avant la 2e guerre mondiale, rejoignent souvent cette densité et cette qualité de vie à proximité des services, sans que les hautes tours soient omniprésentes.

Il ne s’agit pas de faire de St-Agapit, un Plateau Mont-Royal. Mais plutôt de considérer qu’en milieu fortement urbanisé comme en milieu plutôt villageois ou de ville moyenne, on peut revenir à l’idée d’une densification à échelle humaine. Réfléchir le développement des centres de villages, de villes ou de quartiers pour protéger leur environnement et créer des milieux riches et complets où l’auto solo devient de moins en moins une nécessité.
Je ne crois pas que M. Bonnardel et plusieurs de ses compères au cabinet soient si ignorants de ces questions, ou du moins en 4 ans d’exercice de pouvoir, ils ont sûrement du avoir suffisamment de discutions, rapports, rencontres pour leur démontrer de quoi il s’agit. Mais ce qui est à craindre, c’est surtout qu’une partie encore non négligeable de promoteurs et de développeurs traditionnels, a toujours l’oreille des hautes sphères du pouvoir. De plus, laisser circuler l’idée au quidam pris dans le traffic seul dans son char que bientôt un nouveau pont ou une nouvelle autoroute, viendra soulager ses souffrances; c’est payant électoralement!
Là aussi, bien que pour le commun des mortels, il peut être difficile d’avaler que cette nouvelle voie à moyen terme viendra empirer et non améliorer sa situation, il est encore plus difficile de croire que pour M. le ministre, cet état de fait n’a pas encore été démontré de manière évidente, que les voitures pris dans le traffic soient électriques ou non.
Agrandir par en dedans
Dans la densification à échelle humaine, il est aussi impératif de parler de zones déjà densément construites dans lesquelles il est possible d’ajouter, soit des espaces de vie, soit d’intégrer de nouvelles unités de logement. Pour ce faire, il est important de bien étudier son territoire et de privilégier des endroits qui soient le moins nuisible possible pour le voisinage, l’environnement et pour une meilleure intégration architecturale. Passer par exemple d’une rue de 2 à 3 étages, ou de 3 à 4 étages, ou encore agrandir le bâtiment dans la cour arrière, nécessitent un contexte favorable à cet accueil, soit par l’espace disponible de terrain, la largeur de la rue, la trame de l’espace de vie que peut constituer une ruelle, etc. Bien que les quartiers déjà bien construits semblent avoir peu d’opportunité de densification, ces ajouts ici et là, ne sont pas anodins, mais une réflexion et une vision globale sont de mise dans le but d’en diminuer les impacts.
Toujours dans la section « agrandir par en dedans », le phénomène « AirBnB » commercial a fait perdre à Montréal plus de 5000 logements du secteur de l’habitation. Bien que la crise sanitaire en a fait revenir plusieurs vers le marché de l’habitation, il faudra aux autorités gouvernementales d’intervenir avec plus de dents pour éviter de nouveau des pertes de logements avec le retour des touristes. (je ferai le tour de la question AirBnB, dans un autre article).
Obésité spatiale
Lorsqu’on parle d’obésité spatiale, il est question de propension évolutive à vouloir vivre dans un espace de plus en plus grand. Si la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) a déjà établi un minimum de superficie pour un ménage pour ses besoins impérieux en logement, il peut être hasardeux d’en établir un maximum.
Malgré la pression immobilière sur les prix et sur le manque de logements, on a vu dans les quartiers centraux, de petits ménages avec de grands moyens financiers vouloir agrandir ou fusionner des logements de manière à se créer des unités que certains ont même osé qualifier de « monster houses ». Fusion, de non pas deux mais de trois étages, agrandissement par le sous-sol, mezzanine ajoutée, agrandissement par derrière. Si bien qu’au Plateau, il y a eu une première modification règlementaire au cours du mandat 2013-2017 pour interdire une fusion d’un triplex de 3 étages en 1 seule unité. C’est un peu l’ancêtre d’une règlementation anti-rénoviction venue plus tard en 2020 pour limiter les fusions de logements avec une balise de superficie maximale. Mais ceci ne dicte évidemment pas, par exemple, combien de personnes doivent vivre dans un 4 1/2 de 70m2 ou un 6 1/2 de 100m2.
Si ces règlementations semblent avoir un aspect positif (du moins sur le court terme) pour limiter les évictions abusives (pour agrandissement substantielle devant le tribunal administratif du logement), elles demeurent limitées quant à une réelle densification.
En urbanisme ou dans le monde municipal, la densification se traduit souvent par la superficie construite et non le nombre de personnes/m2, puisque le droit municipal ne gère pas les personnes mais bien l’espace (usage, superficie…). Ce qui veut dire qu’un ménage peut vivre à 6 dans 100m2, alors que le ménage voisin, un couple avec un seul enfant peut avoir un logement de 3 étages équivalent à 300m2. La voie à suivre restera donc la construction de plus d’unités et de protéger du marché un certain nombre d’entre eux pour maintenir une abordabilité à long terme et une mixité sociale.
Une chose est certaine, si on parle autant de densification pour les grandes villes comme pour les villages, c’est que nous reconnaissons enfin à la fois la crise climatique tout comme la crise du logement. Pour la première, il devient de plus en plus reconnu qu’il nous faut éviter l’étalement urbain pour la soigner; pour la 2e, l’ajout substantiel d’un nombre de logements pourraient certainement l’atténuer. Mais il nous restera encore un bout de chemin pour reconnaître que la crise du logement n’est plus seulement que son manque d’unités mais également son inabordabilité. Pour cela il faut des moyens forts pour que l’abordabilité soit préservée et même augmentée en créant des logements à la hauteur des poches des ménages en quête d’un toit. La densification peut être une excellente opportunité pour se prémunir de l’inabordabilité des logements, en mettant à l’abri de la spéculation sur du long terme, un nombre important de ces nouvelles unités.
Richard Ryan, 24 mai 2022
Une réponse à “Réflexion sur la densification”
[…] sans âme » dont Griffintown constitue un exemple. Richard Ryan propose une intéressante Petite réflexion sur la densification. Le même auteur, dans cet autre article, dénonce la confusion et le caractère inapproprié des […]
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