(Ces textes racontent l’histoire de faits marquants de la dernière décennie pour protéger des ateliers d’artistes dans le Mile End. Des interventions audacieuses et innovantes qui ont pavé la voie à d’autres projets de protection ou de développement d’espaces créatifs à Montréal. Ces articles sont intégrés dans la section Territoire d’expériences du blogue Territoire Humanisé. Cette partie de blogue vise à relater différents dossiers dans lesquels j’ai été impliqué au cours de l’expérience en politique municipale entre 2009 et 2021.)
Il y a 10 ans le 5 mars 2012, les élus de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, votaient en conseil d’arrondissement extraordinaire et à huis clos, un contrôle intérimaire sur le secteur d’emploi de St-Viateur Est, du Mile End. Ce premier geste audacieux et réfléchi avec l’équipe d’urbanistes de l’arrondissement, visait à geler un certain type de développement qui se tramait par l’attractivité de grands promoteurs et la hausse de la valeur immobilière des grands bâtiments industriels du Mile End. Cette attractivité d’investissements menaçait au premier chef ce qui les attiraient : soit la plus grande concentration d’ateliers d’artistes existant au Canada.
Cette intervention de l’arrondissement du Plateau devenait une bougie d’allumage à différentes pistes de solution afin de préserver la production culturelle et artistique dans les quartiers centraux de Montréal.
Les artistes, ces nomades forcés
L’histoire d’un certain nomadisme des artistes, n’est peut-être pas vieille comme le monde, mais elle existe bel et bien depuis assez longtemps et dans différentes villes du monde pour en cerner quelques éléments. L’attractivité par leur présence contribue souvent à terme à les chasser des quartiers culturels, alors qu’ils auront été, les acteurs principaux qui les ont façonnés.
En partant de l’exemple du Mile End, des menaces et des pistes de solutions, il s’agit ici de documenter une histoire fascinante dont les actions et les leçons de défrichage ont et peuvent encore inspirer d’autres quartiers de Montréal ou ailleurs.
Le contexte post industriel connu du Mile End des années 90-2000, n’est pas unique. Comme ailleurs, la transformation de l’industrie manufacturière, a laissé vacant plusieurs espaces dans les bâtiments à grands gabarit des rues Casgrain et de Gaspé. Cette nouvelle donne dans le Mile End est l’opportunité pour des artistes, se faisant chasser ailleurs (ex: La Galerie Clark du Centre-Ville), de se retrouver des espaces de création abordables et lumineux. Cette arrivée importante de créateurs dans le Mile End industriel, viendra qualifier le quartier. C’est à partir du milieu de la décennie 2000, que le quartier se fait connaître comme étant la plus grande concentration d’artistes au Canada.
Pression immobilière
Mais l’inquiétude que l’histoire se répète pour plusieurs artistes du quartier, les amène à sensibiliser les membres du Comité des citoyens du Mile End (dont je faisais partie avant d’être élu) en 2007-2009, lors d’une démarche de participation citoyenne qui avait pour but de se doter d’une vision de revitalisation du secteur industriel de St-Viateur. Le CCME voulait ainsi répondre à un processus de requalification du secteur porté par la Ville et l’arrondissement, qui tenait mal compte des préoccupations citoyennes et des artistes déjà bien installés dans le quartier et dans les bâtiments industriels.
Le changement de garde à l’arrondissement du Plateau avec l’élection de notre équipe de Projet Montréal des 7 postes électifs en novembre 2009, précède de quelques mois une bombe en immobilier industriel dans le secteur de l’emploi du Mile End. Allied Properties REIT déjà propriétaire de l’édifice Peck (St-Laurent/St-Viateur) où Ubisoft se développe très rapidement au cours des années précédentes, achète l’immeuble sise au 5455 de Gaspé (½ million de pi2). Le prix de l’achat à 38M$ est 5 fois plus élevé que son prix de vente 3 ans auparavant. Une panique s’installe chez les artistes, car il semble clair que leurs jours dans le secteur sont comptés.
Un dossier complexe
À l’époque, je garde des liens avec quelques leaders de la communauté artistique du quartier qui décident de s’incorporer en OBNL avec le nom du Regroupement Pi2. La Corporation de développement économique et communautaire (CDEC) via Marianne Marchand est également impliquée dans la recherche de solutions. La CDEC s’était déjà impliquée dans le dossier de la Grover quelques années auparavant, ainsi que dans l’incorporation de l’OBNL Ateliers créatifs Montréal (ACM) qui a acquis le CHAT des artistes tout près de la Grover dans le quartier Centre-Sud.
Pour ma part, je fouille aussi avec les professionnels de l’arrondissement sur des solutions urbanistiques en zonage. Durant ce temps Allied achète un 2e bâtiment sur de Gaspé du même gabarit, totalisant 1M pi2 pour les deux bâtiments. Rien pour calmer l’inquiétude des centaines d’artistes occupant jusque-là la plus grande concentration d’ateliers. Ce n’est qu’un secret de polichinelle, qu’avec ces achats, Allied n’a pas l’intention de garder les artistes mais bien de vider les étages, de les rénover pour attirer de grandes entreprises du type Ubisoft.
La recherche de solutions n’est pas simple, du côté de la Ville ou de l’arrondissement du Plateau, on ne peut s’ingérer dans des ententes de baux entre deux parties privées, bien que Projet Montréal dirige l’arrondissement, le parti n’est que la 2e opposition à l’Hôtel de Ville et détient peu de pouvoirs au niveau central. Mais l’exploration des pouvoirs locaux en matière d’urbanisme est une piste qui fait partie des discussions que j’ai eues avec le maire Ferrandez et les professionnels de l’arrondissement ainsi que des partenaires tels que le Regroupement Pi2 et la CDEC Plateau Mt-Royal/Centre-Sud.
Des pistes sont évoquées en matière de zonage vertical (une première au Canada) soutenues par des limites de superficie par entreprise, mais l’arrondissement ne pouvait viser un seul immeuble, car il se fragilisait dans une éventuelle poursuite devant les tribunaux. Les ambitions d’Allied détenant maintenant 3 grands immeubles dans le secteur sont grandes. Elles ont un impact sur l’ensemble de cette zone qui vont à l’encontre des objectifs du plan d’urbanisme prônant une mixité des usages dans le secteur, alors le temps presse….
Allied Properties réagit à ce changement réglementaire qui vient mettre des bâtons dans les roues à leur plan d’affaires pour le secteur. Ils interpellent le maire de Montréal de l’époque, Gérald Tremblay. Tremblay explique au PDG d’Allied que ces pouvoirs d’urbanisme sont de responsabilités locales qui reviennent aux arrondissements. Dans les jours qui suivent, Luc Ferrandez et moi recevons une délégation d’Allied dans les bureaux de l’arrondissement de l’avenue Laurier. Échange cordial qui a permis de faire comprendre que nous n’étions pas contre le développement d’entreprises dans le secteur, mais que nous avions un objectif clair de préserver la mixité des usages et des types d’entreprises, ainsi que de préserver les ateliers d’artistes qui ont fait la couleur de ce quartier.
Au cours de l’année 2012, contrairement aux autres propriétaires touchés par le contrôle intérimaire imposé par l’arrondissement du Plateau, Allied Properties négocie avec le Regroupement pi2, pour une entente de bail sur 30 ans à un prix abordable. 212k pi2 sont négociés conditionnellement à ce que l’arrondissement assouplisse sa réglementation pour le reste des 2 immeubles sis sur l’avenue de Gaspé dont la superficie totalise 1 million de pi2.
Richard Ryan, 17 mars 2022
(2e partie de l’histoire… malgré tout encore des défis et d’autres projets)